Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article BONA DEA

BONA DEA. La Bonne Déesse. Nom, ou plutôt surnom tenant lieu d'un nom qui n'était point divulgué, par lequel on désignait, chez les Romains, une déesse de la fécondité également invoquée pour qu'elle fît fructifier la terre et pour qu'elle donnât aux femmes des enfants. Plusieurs légendes avaient cours à son sujet', dont le sens symbolique apparaît à peine aujourd'hui et qui n'avaient reçu dans l'antiquité que des explications incohérentes. On disait que Bona Dea était la fille du dieu FAUNus et qu'elle avait été de sa part l'objet d'obsessions coupables, auxquelles elle avait pu d'abord se soustraire ; qu'il l'avait frappée avec une branche de myrte, puis qu'il lui avait fait boire du vin et avait enfin vaincu sa résistance, après s'être changé en serpent Selon d'autres elle était une nymphe des bois, l'épouse même de Faunus, FAUNA (dont le nom a aussi la signification de bonne)'; elle aurait été frappée par le dieu avec la baguette de myrte, parce qu'elle avait bu furtivement une cruche de vin doux et s'était enivrée. Après l'avoir fait périr, il lui rendit des honneurs divins. On avait encore identifié la Bonne Déesse avec Ors et avec MATA' , qui préside à l'accroissement en toutes choses et dont le nom, qui a cette signification, a la même origine que celui du mois de mai, où tout mul tiplie et grandit': et en effet, elle était, avec Maia, fêtée le 1°r de ce mois. Bona Dea était encore assimilée à Hécate et à Proserpine ou à Sémélé, mère d'IACenus On faisait d'elle enfin sous le nom de Fatua une magicienne comme Médée et comme Circé, habile dans l'art de guérir, douée du sens prophétique et prédisant l'avenir aux femmes, de même que Faunus l'annonçait aux hommes'. Les Grecs appelaient Bona Dea la déesse des femmes ©bo; yuvatrefae) ; son culte était essentiellement féminin et interdit aux hommes, qui ne devaient jamais en pénétrer les mystères, pas même accidentellement'. La fille de Faunus, d'après ce que rapportait Varron9', était un modèle de chasteté) qui n'avait jamais quitté l'appartement des femmes, dont le nom n'était jamais parvenu aux oreilles du public, qu'aucun homme n'avait vue et qui n'avait vu aucun homme : c'est pourquoi aucun d'eux ne devait pénétrer dans son temple. On racontait encore " qu'Hercule, cherchant à, apaiser sa soif, quand il conduisait les boeufs de Géryon, n'avait pu obtenir d'eau des femmes qui célébraient le culte de Bona Dea, et que par ressentiment il avait interdit l'accès de son culte aux femmes. Le temple d'Hercule était à Rome sur la pente de l'Aventin ; celui de Bona Dea18, sur le versant opposé, au-dessous du rocher du haut duquel Rémus avait observé le vol des oiseaux : d'où le surnom qu'on lui donnait de Subsaxana. Ce temple avait été consacré, le 1" mai, par une vestale de la famille Claudia. Livie, la femme d'Auguste, rétablit pour la dernière fois ce sanctuaire de la déesse, qui fut depuis lors appelé Bona Dea Ilestituta's. Ce n'est pas toutefois dans ce temple, ni au mois de mai, qu'étaient célébrées les principales cérémonies du culte de Bona Dea; mais au commencement de décembre, dans la maison du consul ou du préteur (in ea domo quae est in ùnperio)15 ; car elles s'accomplissaient pour le peuple tout entier (pro populo romano). C'est là que se réunissaient de nuit les femmes, après s'y être préparées par l'abstinence, sous la conduite des vestales, apportant des fleurs de toutes sortes, le myrte excepté. Elles offraient d'abord un sacrifice expiatoire, consistant en une jeune truie f5 et en vin, que l'on déguisait sous le nom de miel et de lait ; sans doute il y avait là une allusion aux aventures supposées de la déesse. La victime était désignée sous le nom de damium, la déesse s'appelait elle-même Damia et sa prêtresse damiatrix10, noms grecs d'apparence, qui rappellent le culte de Démétert7 et qui furent probablement introduits à Rome avec ce culte. Cicéron '' fait remonter au temps des rois celui de Bona Dea et dit qu'il n'y avait pas à Rome de sacrifice plus anciennement institué, ni qui fût entouré de cérémonies plus extraordinaires (incredibili cerimonia). Après le sacrifice, la fête prenait, sous l'influence du vin, de la musique et des danses, un caractère de plus en plus sensuel, qui dégé BON 726 H_B-ON néra, au moins à la ville, sous l'empire, en orgies dont la licence n'était pas dépassée par celle des mystères de Cybèle ou de Bacchus 19. C'est dans cette fête, d'où l'image même d'un homme et de tout animal mâle était rigoureusement exclue 2°, et qu'aucun d'eux, croyait on, ne pouvait apercevoir sans être frappé de cécité, que Clodius, le premier, déguisé en joueuse de harpe, osa pénétrer la nuit, où elle devait avoir lieu dans la maison de César" ; et cet attentat contre la religion de l'État, malgré l'éclat qu'il fit, demeura impuni, tant cette religion avait perdu de son empire sur les âmes et tant était grande la démoralisation au dernier siècle de la république. Clodius trouva la mort près du temple de la Bonne Déesse à Bovillae et l'on vit dans ce lait la juste vengeance de son crime22 On rencontre encore la mention d'autres sanctuaires de Bona Dea en Italie, et l'on voit par les inscriptions 23 que son secours était fréquemment invoqué, principalement par les femmes. A Rome, où elle fut longtemps pour les matrones et les mères de famille un modèle de dignité, en même temps qu'un type de fécondité, elle était représentée le sceptre à la main comme Junon dont on lui attribuait le pouvoir souverain 24. On sait aussi qu'un cep de vigne se courbait au-dessus de sa tête 25, qu'à côté d'elle étaient une cruche de vin et un serpent sacré. On nourrissait des serpents dans ses temples. Aucun monument connu ne répond exactement à cette description ; mais on lit le nom de BONA Osa sur des monnaies de Paestum'-°, où une figure de femme tenant une corne d'abondance est représentée assise à l'intérieur d'une édicule (fig. 867). On a aussi rapproché quel ques figures de femmes allaitant ou portant un enfant, dans l'attitude qui est ordinairement celle de Déméter Kourotrophos LesREsj 27, à laquelle la Bonne Déesse peut être, comme on l'a vu, assimilée. Nous citerons encore une statuette de bronze (fig. 868) trouvée dans les environs de Naples 2s, et dans laquelle on peut reconnaître l'une eu l'autre de ces divinités : c'est une femme qui porte d'une main un petit enfant et tient de l'autre un cochon de lait, victime qu'on sacrifiait à Bona Dea comme à Cérès et à Proserpine. Le nom de Bona Dea a été donné aussi parfois n à d'autres déesses, comme celui de Bonus Deus à quelques dieux, par la piété de leurs adorateurs. E. SAGLao.